Le Grand Chêne, l’arbre aux mille saisons

par 20/05/2018

Qui de l’homme ou de la nature a donné lieu et vie à cet être ?

Pourquoi est-il seul, là, au beau milieu de cette prairie, à la croisée de l’Ire, du Lac et de l’Eau Morte ?… D’ailleurs, l’a-t-il toujours été, seul, isolé ?

Peut-être a-t-il eu le devoir de veiller et protéger ses pairs, comme le géant de pierres un peu plus loin, telle une vigie…

Peut-être a-t-il été puni et planté en quarantaine pour avoir désobéi au code des arbres… hypothèse absurde issue d’un cerveau humain mal réveillé…

Peut-être a-t-il compris très tôt combien les hommes auraient besoin de lui et s’est-il senti missionné pour échanger avec eux dans le plus grand silence et le plus grand secret, à l’écart des autres…

Peut-être a-t-il été choisi pour être Seigneur des bois des Marais de l’Enfer… pour son don justement d’apaiser et de cultiver la paix…

Qui sait ?

Moi, ce que je sais, c’est que depuis que je le connais et viens à sa rencontre, il est.

Il est ce chêne immense et réconfortant, à l’essence sensible et au tronc protecteur.

Il est mon vieux pachyderme bicentenaire au pied duquel je trouve le silence, l’apaisement, l’inspiration ; au pied duquel je contemple la beauté autour, devant moi, derrière moi, au-dessus de moi, partout, et en toutes saisons.

Je sais qu’il est un refuge, un point de rendez-vous, une destination pour bien des amis… qu’il se laisse approcher, étreindre, qu’il offre son ombre l’été, un coin dans ses racines pour se caler et qu’en retour je découvre parfois à son pied des trésors de fleurs ou incrustées dans son tronc de petites pierres, précieuses pour ceux qui les ont déposées.

Je sais… qu’auprès de lui on peut se poser, lire et écrire, seule ou à plusieurs. Que les travées irrégulières de son écorce nous ont déjà raconté mille histoires. Que nous aimons rire à d’exquis écrits ou nous émouvoir lorsque naît la rime sous sa ramure…

Il est cet arbre aux mille facettes qui, immobile pourtant, nous offre un regard à chaque fois nouveau, et se pare au gré du temps et des saisons de multiples vêtures, tantôt sombres et froides, tantôt pétillantes et lumineuses, tantôt d’ors et de feu, tantôt poudrées et cristallines… sans jamais perdre l’élégance de l’équilibre de ses branches qui chaque jour s’étirent un peu plus vers le ciel.

Il est tout cela. Il est le grand chêne de la Réserve du bout du lac. Il nous regarde passer.

« … Peut-être le chêne immobile pendant des siècles est-il au centre d’un univers insoupçonnable à l’esprit de l’homme mobile et bref. La journée est pour lui comme une inspiration, la nuit une expiration, le printemps et l’été sa journée, l’automne sa fatigue et l’hiver son repos nocturne. Il vit à une autre échelle du temps, de l’espace où il est figé, de la conscience, et de la connaissance. »
René Barjavel – La faim du tigre

Alors, lorsque le jury du Plus Bel Arbre de l’Année a créé pour lui, uniquement pour lui, le prix « Coup de cœur », j’ai su qu’il les avait touchés… là… en plein cœur… parce que le sensible est un langage feutré mais d’une profondeur infinie pour qui sait s’arrêter dans le creux du silence…

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